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L’adoption récente d’une loi autorisant l’usage de l’acétamipride et assouplissant la réglementation des pesticides soulève de nombreuses inquiétudes. Tandis que certains y voient une nécessité pour l’agriculture, d’autres dénoncent une menace pour la biodiversité et la santé publique.
Une famille d’insecticides
Les néonicotinoïdes sont des insecticides principalement utilisés en agriculture. Leur action « systémique » permet une diffusion dans toute la plante. On les utilise depuis les années 80. L’Union Européenne encadre leur usage, mais ils ne sont pas exclusivement réservés aux professionnels.
Des substances comme l’Imidaclopride, la Clothianidine et le Thiaméthoxame existent sous plusieurs formes. Elles peuvent être pulvérisées ou appliquées en bâtonnets. Cependant, on les utilise surtout en enrobage des semences pour une absorption directe par la graine.
Ces insecticides ciblent les récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine chez les nuisibles et les larves qui se nourrissent des squames d’animaux contaminés.
L’acétylcholine joue aussi un rôle chez l’homme, notamment dans la mémoire et l’activité musculaire. L’Imidaclopride, par exemple, est présent dans les produits anti-puces pour chats et chiens. D’autres substances, comme le Sulfoxaflor et le Flupyradifurone, appartiennent aux sulfoximines et ont des effets similaires aux néonicotinoïdes.
Réglementation
2013, la Commission Européenne restreint l’utilisation de trois néonicotinoïdes : thiaméthoxame, imidaclopride et clothianidine. Leur utilisation sous serre reste autorisée, mais leur emploi sur les cultures attractives pour les abeilles est interdit.
2016, la France a interdit ces substances, avec des dérogations possibles jusqu’en 2020. En 2018, la Commission Européenne a définitivement banni ces trois produits, sauf sous serre. En 2020, elle a aussi interdit le thiaclopride, jugé toxique pour la reproduction.
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Aujourd’hui, seule l’acétamipride reste autorisée en Union Européenne. Toutefois, certains pays accordent des dérogations. Par exemple, la France permet encore l’enrobage des graines de betteraves avec l’imidaclopride ou le thiaméthoxame.
Des réglementations encadrent aussi leur utilisation pour protéger les oiseaux et les mammifères sauvages. En 2019, la France a interdit le flupyradifurone et le sulfoxaflor, qui présentent des effets similaires aux néonicotinoïdes.
Conséquences
Ces substances ont des impacts directs sur l’environnement, la faune et la santé humaine. Elles peuvent altérer durablement les sols et contaminer les nappes phréatiques.
Leur principal problème réside dans leur persistance. Elles mettent plusieurs années à se dégrader dans les sols. Leur demi-vie varie de plusieurs centaines de jours à plus de trois ans.
Après vingt ans d’utilisation, une forte baisse des populations d’insectes a été constatée dans plusieurs régions du monde. Les néonicotinoïdes touchent aussi bien les insectes aériens qu’aquatiques. Ceux qui se nourrissent sur des plantes traitées sont contaminés, tout comme les eaux souterraines et les cours d’eau qui reçoivent les excès de produit.
De nombreuses espèces non ciblées subissent ces effets, notamment les prédateurs d’insectes et les vers de terre. L’utilisation prolongée de semences enrobées pose aussi problème. Les abeilles qui butinent des plantes traitées perdent leur orientation. Incapables de retrouver leur ruche, elles finissent souvent par mourir.
Des études montrent que ces insecticides affectent le développement et le comportement des abeilles. Les scientifiques estiment aujourd’hui qu’ils jouent un rôle majeur dans la disparition de nombreuses espèces essentielles aux écosystèmes.
Ces produits ont aussi des effets néfastes sur la santé humaine. Ils sont liés à des malformations congénitales cardiaques, des atteintes cérébrales, des troubles de la mémoire et des formes d’autisme. En France, environ 10 % des végétaux vendus contiennent des traces de ces substances.
Alternatives
Pour répondre à cette question, l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) mène des recherches. L’agence dispose de neuf laboratoires répartis sur le territoire. Ceux-ci travaillent sur trois domaines : la santé animale, la sécurité alimentaire et la santé des végétaux.
En France, l’un des problèmes majeurs liés aux pesticides concerne la betterave sucrière. Deux virus, transmis par un puceron, provoquent son jaunissement. Les feuilles deviennent cassantes, la photosynthèse diminue et la plante meurt. Les pertes peuvent atteindre plus de 50 % des récoltes.
En 2020, deux ans après l’interdiction des néonicotinoïdes en Europe, la jaunisse a gravement touché les cultures françaises. Face à cette crise, le gouvernement a accordé des dérogations pour trois ans. Les producteurs ont réclamé cette mesure, car l’enrobage des semences est une solution simple et peu coûteuse.
Cependant, l’ANSES propose d’autres alternatives :
Des pesticides chimiques de substitution, même si leur pulvérisation n’est pas idéale pour la nature et les agriculteurs.
L’introduction de prédateurs naturels comme les coccinelles, qui s’attaquent aux pucerons.
L’usage de pesticides synthétiques ou naturels.
Une application d’huiles végétales pour empêcher les pucerons d’attaquer la plante.
L’intercalation de merisiers ou d’érables entre les betteraves pour réduire leur attractivité pour les pucerons.
On évoque aussi la création de plantes génétiquement modifiées résistantes à la jaunisse, mais ce processus prend au moins dix ans.
L’ANSES estime qu’aucune de ces solutions ne suffit seule. Elles doivent être combinées, mais leur coût reste élevé pour les agriculteurs.
La betterave sucrière sert principalement à produire du sucre, de l’alcool pour l’industrie pharmaceutique et cosmétique, ainsi que du bioéthanol. Cette filière emploie des dizaines de milliers de personnes en Europe. L’interdiction des néonicotinoïdes entraînera inévitablement des pertes d’emplois.
Interdire ou pas ?
Faut-il alors maintenir leur utilisation malgré leurs dangers ? Suite à un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 19 janvier 2023, le Conseil d’État déclare illégales les dérogations accordées en 2021 et 2022 pour l’utilisation des néonicotinoïdes dans la culture de betteraves sucrières. En effet, aucune dérogation n’est possible si la Commission européenne a interdit un pesticide de manière formelle. Pourtant, le 27 janvier 2025, le Sénat a voté une loi autorisant l’usage de l’acétamipride, un pesticide de la famille des néonicotinoïdes, et assouplissant la réglementation des pesticides.
L’Union Nationale de l’Apiculture Française dénonce cette décision, soutenue par la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs, estimant qu’elle menace les pollinisateurs, la santé publique, l’agriculture et l’environnement, remettant en cause les avancées réalisées depuis 2016. Tout est accordé pour éviter de revoir des tracteurs sur les autoroutes. Même l’inacceptable. L’interdiction de ces néonicotinoïdes, des insecticides « trop efficaces », semblait pourtant une évidence, une nécessité vitale à long terme. Encore une régression, une de plus.