Sommaire
Face à l’urgence climatique, l’éco-anxiété gagne du terrain et touche un très grand nombre de Français. L’ADEME, en partenariat avec des chercheurs en psychologie sociale, publie une étude inédite.
Cette enquête, première du genre en France, mesure de manière scientifique le niveau de détresse lié aux enjeux environnementaux. Elle alerte sur un phénomène bien plus profond qu’une simple inquiétude : une menace croissante pour la santé mentale.
Une étude novatrice
L’éco-anxiété désigne une détresse mentale face à la dégradation environnementale. Ce trouble reste méconnu mais croît avec l’intensité des alertes climatiques. L’étude repose sur un échantillon représentatif de 15 à 64 ans, soit 42 millions de Français par extrapolation. Elle utilise un outil psychométrique reconnu : la Hogg Eco-Anxiety Scale ou HEAS, validée scientifiquement.
Sept niveaux d’intensité ont été définis. Ils vont de « pas du tout éco-anxieux » à « très fortement éco-anxieux avec risque psychopathologique ». Cette classification permet de mieux comprendre les symptômes et d’alerter sur les risques pour la santé mentale.
Des chiffres alarmants
Les résultats révèlent que 10,5 millions de Français sont touchés par une éco-anxiété modérée à très forte. Plus précisément :
- 6,3 millions de personnes sont moyennement éco-anxieuses.
- 2,1 millions présentent une forte éco-anxiété.
- 2,1 millions souffrent d’une éco-anxiété très forte.
- Parmi eux, 420 000 risquent de développer une psychopathologie (dépression ou trouble anxieux).
À l’inverse, 31,5 millions de Français se situent en bas du continuum (aucune, faible ou très faible éco-anxiété). L’éco-anxiété n’épargne aucune catégorie sociodémographique. Toutefois, on peut retrouver certains profils plus exposés :
- Les femmes davantage que les hommes.
- Les diplômés du supérieur (Bac+3) plus que les non-diplômés.
- Les habitants des grandes agglomérations et de la région parisienne.
- Les personnes engagées ou intéressées par les questions écologiques.
En revanche, cette détresse semble moins toucher les retraités, de même pour les personnes peu diplômées.
Une détresse réelle
L’étude rappelle que l’éco-anxiété n’est pas une maladie, mais une détresse réelle. Elle ne doit pas être confondue avec la simple conscience écologique. Elle peut toutefois devenir pathologique si elle persiste ou s’intensifie sans accompagnement. Cette souffrance psychologique n’est ni un phénomène de mode ni un effet de langage militant.
Bien encadrée, elle peut aussi devenir un moteur d’engagement. L’éco-anxiété peut favoriser la résilience et l’action en faveur de la transition écologique.
Réflexions et perspectives
L’éco-anxiété s’impose aujourd’hui comme un prisme incontournable pour penser à la fois les effets psychologiques de la crise environnementale et les leviers d’action à mettre en place pour y répondre. Si l’on peut saluer les efforts déployés pour en comprendre les ressorts, prévenir son intensification et proposer des dispositifs de soutien, il reste néanmoins de nombreuses pistes à explorer pour faire face à l’ampleur du phénomène.
Tout d’abord, une réflexion approfondie doit s’engager autour de l’articulation entre éco-anxiété et résilience collective. En effet, loin d’être uniquement un marqueur de souffrance, l’éco-anxiété risque aussi de devenir un catalyseur d’engagement, si elle est reconnue et encadrée de manière adaptée. Cela suppose de transformer les espaces d’inquiétude en espaces d’expression, de dialogue et de construction de solutions, à travers des approches collectives (groupes de parole, ateliers de sensibilisation, actions citoyennes, etc.).
Ensuite, une vision prospective de la société pourrait intégrer la prise en compte des émotions environnementales dans les politiques publiques. Il serait pertinent de réfléchir à une écopsychologie appliquée, non pas cantonnée aux cercles de soins, mais présente dans les espaces éducatifs, professionnels et communautaires, dans une logique de prévention intégrée. Une telle approche, interdisciplinaire, renforcerait la capacité de la société à faire face aux bouleversements écologiques en cours, tout en protégeant la santé mentale des individus.
Enfin, il conviendrait de repenser les modes de communication sur les enjeux climatiques. Face au caractère anxiogène de certaines narrations, les institutions et les médias pourraient jouer un rôle de « médiateurs émotionnels », en favorisant des discours équilibrés, mobilisateurs, porteurs de sens et d’espérance. Car accompagner l’éco-anxiété, c’est aussi offrir des récits soutenants, qui permettent aux citoyens de se projeter dans un avenir désirable, sans nier la gravité des défis à relever.
La reconnaissance institutionnelle de l’éco-anxiété, la formation des professionnels, la création de réseaux de soutien, la mobilisation citoyenne et la transformation des récits collectifs sont autant de chantiers à ouvrir pour que cette émotion indicatrice d’une conscience écologique aiguë ne devienne pas un fardeau, mais un moteur pour bâtir une société plus résiliente, plus solidaire et plus soutenable.
L’éco-anxiété affecte donc aujourd’hui des millions de Français, parfois jusqu’à menacer leur équilibre psychologique. Ce phénomène, reconnu scientifiquement, devient un véritable enjeu de santé publique. L’étude de l’ADEME propose un diagnostic clair. Elle appelle à des actions préventives, thérapeutiques et collectives pour transformer l’angoisse en énergie d’action. Car comprendre cette détresse, c’est aussi mieux accompagner les transitions à venir.